Pièce en quatre actes

Cette pièce a été traduite en allemand sous le titre:
REISE DURCH EINE GEWITTERNACHT

L'île d'Ischia dans les années 80. Wessmar, un médecin, s'intéresse à l'exploration de l'inconscient, et plus particulièrement aux représentations qui semblent émerger d'éventuelles existences antérieures. Au cours d'une de ces séances, Florence a revu une vie où Lensky, son amant, était navigateur. Celui-ci ignore tout de cet épisode.

LENSKY
Qui veut un verre de vodka?

OLIVIA (nerveusement)
Tout le monde. (Elle allume une cigarette)

LENSKY se lève, passe rapidement sa main derrière la nuque de FLORENCE et l'embrasse longuement. Puis il entre dans la maison. FLORENCE a pris sur elle pour ne pas réagir.

WESSMAR (se levant)
Une cigarette, Florence?

FLORENCE (sans voix)
Oui.

WESSMAR (s'approchant)
Ne bougez pas...

FLORENCE (prenant une cigarette)
Merci, Guillaume.

WESSMAR lui offre du feu.

Merci.

WESSMAR va se rasseoir. LENSKY sort de la maison, apportant la bouteille d'une main et les verres de l'autre. Il fait le service, distribue les verres et ne se rassoit pas. OLIVIA vide son verre d'un trait.

OLIVIA (sur un ton sec)
Bon, je monte boucler mes bagages. (Elle se lève)

FLORENCE (se levant)
Je peux t'aider?

OLIVIA (froidement)
Non, je te remercie. (Elle entre dans la maison)

FLORENCE s'assoit à la place d'OLIVIA, LENSKY se ressert à boire, se dirige vers la rampe et s'immobilise face à la salle. Pendant ce temps OLIVIA entre dans la chambre du premier. Elle se laisse tomber sur la chaise qui est derrière le bureau, appuie sa tête contre le mur et reste ainsi un long moment.

LENSKY (légèrement)
La mer... Traversées, orages, rafales... goélands, baleines, requins... Aldébaran, Tarazed, Bételgeuse...

WESSMAR l'écoute avec attention. FLORENCE ne quitte pas LENSKY des yeux.

Mât d'artimon, voile de misaine... Hommes, rats, punaises... fièvre, soif, brûlure...

FLORENCE et WESSMAR échangent un regard.

Où sont les nouveaux océans...
Rivages inconnus, cités, continents?...
Les terres lointaines...
Où l'on entraîne...
La sirène...
Que l'on aime...
Dites-donc, tous les deux, vous pourriez tout de même applaudir, non?

FLORENCE ne bouge pas. WESSMAR sourit. OLIVIA se lève et sort de la chambre.

(Improvisant avec une grandiloquence amusée)
Vous ne me connaissez pas...
Je suis un grand capitaine...

J'ai chevauché de sombres lames
Sous les rouges lueurs du couchant.

Je suis parti aux aventures
J'ai croisé le soleil et le diable...
Vu dériver les continents.

Aux confins des déserts marins je m'étais...
Perdu dans les dunes:
(Lentement) Le parfum de ses cheveux y soufflait.

(Bas) Mon vaisseau... n'a jamais fait naufrage
C'est dans ses yeux que j'ai sombré.

(Fort) J'ai chargé de l'or dans mes cales...
Du bois de santal sous mes voiles...
Des plumes, du sel et du safran.

J'ai connu les délices et les crimes (Pause)
J'ai versé l'ivresse ... et le sang.

J'ai vu passer des oiseaux noirs
Quand défilaient les nébuleuses
(Plus bas) J'avais trop (Un temps) gagné de batailles
(Simplement) Il faut parfois en perdre aussi.

(Se retournant vers eux) Ah, le public d'aujourd'hui, ce n'est plus ça... plus ça du tout...

LENSKY revient s'asseoir sur le fauteuil de droite. FLORENCE pose son verre sur la table.

WESSMAR (allumant une cigarette)
Vous savez, Stan, le silence est parfois plus éloquent que les applaudissements. (Pause) Vous seriez parfait au théâtre.

LENSKY prend la bouteille et regarde WESSMAR.

Non, merci.

LENSKY se sert et pose ses pieds sur le canapé. Il tourne presque complètement le dos au public.

LENSKY
Pourquoi pas? Faire ça ou autre chose... Mais je préfère tout de même être derrière la caméra, c'est moins contraignant...

WESSMAR
Sauf en cas de bombardements...

LENSKY
Oui... Oh, vous savez, aujourd'hui l'homme a fini de faire le tour de son jardin... Le seul espace encore vierge, c'est peut-être la mort. Alors tout en se racontant des tas de salades, on s'arrange pour trouver moyen de filer à l'anglaise... (Pause) Mais vous voyez, ce n'est pas si facile que ça...