de

Michèle Franceschi et Martine Jardin
scénario original/dialogues/illustration musicale.


© Michèle Franceschi et Martine Jardin 1992
SACD 62 617

Balthazar Laporte, un journaliste, est tombé dans le coma à la suite d'une chute dans un escalier. Arrivé dans l'au-delà, il découvre qu'il y existe différents niveaux pendant que sur terre, les médecins tentent de le sauver.

34.DIJON L'hôpital général INT/JOUR

Dans les couloirs, on précède le neurochirurgien. La quarantaine conquérante, tenue de golf: bermuda écossais, T-shirt avec inscription comique, visière transparente, lunettes noires. Il maintient près de son oreille un petit transistor et l'on entend distinctement le commentaire survolté d'un match de football perturbé par quelques parasites.

LA RADIO
Mac Intosh à Mac Donald qui passe à Smith, un peu plus loin Gonzalès intercepte, ah, il ne sait pas trop quoi en faire de ce ballon, Gonzalès, longue passe à Rodriguez, aïe, aïe, aïe, il est tout seul là-bas Rodriguez etc...

- Dans le vestiaire du bloc, le chirurgien se change précipitamment.

L'ANESTHESISTE (Le scanner à la main)
Tu vois... C'est tempo-pariétal gauche...

LE CHIRURGIEN
Qu'est-ce qu'ils sont chiants... Ils pourraient pas faire ça un autre jour que le Samedi... (En enfilant sa tunique il la déchire) Et merde...

- Le bloc pendant l'intervention. Autour de BALTHAZAR, le chirurgien, l'anesthésiste et la panseuse. Silence.

35.NIVEAU 3 EXT/JOUR

# MUSIQUE: On reprend la MAUERERISCHE TRAUERMUSIK de Mozart.

Plongée sur BALTHAZAR qui émerge de la mer de nuages.

- Vue générale de la mer de nuages et de l'escalier qui continue à s'élever hors-champ. Au loin on distingue une cité merveilleuse suspendue dans l'espace.

- On se rapproche de l'escalier. Un homme de race blanche, LE PROFESSEUR, émerge des nuages, montant les marches 4 à 4. Il a une soixantaine d'années, est vêtu d'un costume trois pièces un tant soit peu défraîchi et porte un attaché-case et des dossiers.

LE PROFESSEUR (à BALTHAZAR)
Pardon...

Une femme d'une cinquantaine d'années ayant l'abattage d'un grand chef d'entreprise descend à sa rencontre.

LA FEMME (le débarrassant de ses dossiers)
Ah, professeur... On vous attendait...

Tous deux montent les marches.

LE PROFESSEUR (sans s'arrêter)
Ne m'en parlez pas, j'ai cru que ça n'en finirait jamais...

# La musique s'arrête.

Ils sortent du champ. BALTHAZAR, pensif, s'assoit sur une des marches.

Tout à coup un vieux sage japonais apparaît à son niveau, assis en tailleur dans le vide. Il sourit.

# Son apparition est ponctuée par le tintement cristallin d'un carillon extrême-oriental.

BALTHAZAR tourne la tête vers lui et l'observe, impressionné. Le vieux sage ne semble pas l'avoir vu.

BALTHAZAR (essayant d'engager la conversation)
Hmm... J'espère que je ne vous dérange pas... (Pas de réaction) Non, sinon je peux aller m'installer ailleurs... (Pas de réaction)
Remarquez, on a pas besoin de parler... Moi, le silence, ça ne me dérange pas... (Il se lève et se met à piétiner, un peu nerveux) C'est drôlement calme, ici... Et puis on ne se marche pas sur les pieds, au moins... (Il tourne la tête vers la cité merveilleuse et l'observe un instant, puis en se retournant vers le sage il fait un faux pas, tombe dans le vide, et se rattrape de justesse aux marches de l'escalier.)

LE SAGE (imperturbable et avec l'accent japonais)
Il y a un oranger dans chaque pépin d'orange, mais en attendant on a rien à manger.

BALTHAZAR (toujours suspendu aux marches)
C'est très vrai, ce que vous dites là... (Il se rétablit et se rassied) Décidément, les escaliers, c'est pas mon truc. (Silence)

Une jeune femme arabe en costume traditionnel descend rapidement les marches. Elle porte l'attaché-case du professeur.

LA JEUNE FEMME ARABE (passant près de BALTHAZAR sans s'arrêter)
Mais vous êtes toujours là, vous?

- Gros plan de BALTHAZAR, stupéfait.

LA FEMME (la rattrapant)
Attendez, attendez... Vous n'avez plus besoin de ça...

La jeune femme arabe s'arrête, lui tend l'attaché-case et s'enfonce dans les nuages.

LA FEMME (remontant)
Mais c'est vrai, qu'est-ce que vous faites là, vous?

Elle continue son chemin sans attendre la réponse et sort du champ.

BALTHAZAR (un peu gêné, au sage)
Euh... Beau temps aujourd'hui... (Silence) C'est toujours comme ça ici, je suppose... (Silence)

Un tigre descend lentement les marches derrière BALTHAZAR.

BALTHAZAR (qui n'a pas vu le tigre)
Au fait, ça fait longtemps que vous êtes là? (Pas de réaction) Je me souviens, quand j'étais petit... Dites donc, vous ne trouvez pas que ça sent le fauve?

BALTHAZAR tourne la tête et se lève brusquement en voyant le tigre s'avancer sur lui.

- Gros plan du tigre.

- Plongée sur BALTHAZAR qui recule.

- Gros plan: feulement du tigre.

- Plongée sur BALTHAZAR qui trébuche, tombe et disparaît dans les nuages en poussant un cri.

- Le noir pendant trois secondes.

36.NIVEAU -1 INT/TOMBEE DU JOUR

Au terme de sa chute, BALTHAZAR dévale les dernières marches d'un escalier de métro et se reçoit sur le dos avec une grimace de douleur. Il porte les mêmes vêtements mais ils sont maculés et déchirés. Il a une barbe de trois jours.

Tout au long de cette séquence prévaudra une atmosphère sordide et un éclairage artificiel à la fois faible et dur.

VOIX DE FEMME
Je savais bien qu'il fallait pas y aller... Faire naufrage sur un yacht, c'est d'un ringard... Et tout ça pour atterrir dans ce merdier... Ah, c'est le bouquet...

Pendant ce temps BALTHAZAR s'est relevé et observe la scène.

- On découvre un couple en tenue de soirée, habits trempés et déchirés, la femme a perdu un escarpin etc...

L'HOMME
Mais on ne pouvait pas ne pas y aller... Tu sais bien que Mortimer est le type le plus important de la côte ouest, il me le fallait absolument pour m'implanter là-bas...

LA FEMME
Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre de s'implanter sur la côte ouest... Le fric... Y a pas que ça quand même...

BALTHAZAR entre dans le champ, passant à côté d'eux tout en les observant.

L'HOMME
Ah évidemment, ce n'est pas toi qui te salirais les mains avec le fric, tu ne manipules que les cartes de crédit...

LA FEMME (hargneuse)
Mais y a plus rien à manipuler mon vieux... C'est fini tout ça... Terminus, tout le monde descend... T'es mort, tu saisis? Foutu, crevé, liquidé... (Avec un rire méprisant) C'est marrant d'ailleurs, que tu sois mort... mon pauvre chéri... toi qui as jamais existé...

- On précède BALTHAZAR le long d'un couloir. Il passe à côté de quelques personnages à l'allure misérable qui sont installés là à demi assoupis, l'air hébété. Il les observe au passage mais eux ne le regardent pas.

# MUSIQUE: le deuxième mouvement de la SYMPHONIE CONCERTANTE K 364 de MOZART.
L'intensité sonore est à son maximum.

- Plan rapproché de BALTHAZAR qui débouche dans un autre lieu, puis s'arrête, figé par ce qu'il découvre. On le précède alors qu'il s'avance lentement. Un homme vient s'agripper à lui, lui dit quelque chose, BALTHAZAR l'écarte, absorbé par ce qu'il voit. On l'accompagne un moment, puis l'appareil recule tout en s'élevant avec lenteur, révélant progressivement l'ensemble de la scène:
La zone d'accès aux voies d'une grande gare du type de la Gare de Lyon où s'est installée toute une foule de malheureux. Tas d'ordures. Vieilles valises. Une locomotive est renversée sur une voie, un chariot à bagages a été abandonné en travers d'une autre etc. etc. Au terme du mouvement de caméra on s'aperçoit que la foule occupe les quais à perte de vue, jusqu'au moment où ceux-ci se perdent dans la grisaille.

# La musique baisse.

- BALTHAZAR s'est arrêté non loin de la locomotive. Il repère un contrôleur qui griffonne sur une planchette tout en marchant. BALTHAZAR s'approche de lui.

BALTHAZAR
Pardon Monsieur, vous pouvez me dire comment on sort d'ici?

LE CONTROLEUR (lui jetant un regard hostile)
T'as ton bulletin de sortie?

BALTHAZAR
Ah ben... euh... non.

LE CONTROLEUR
Ça fait combien de temps que t'es là?

BALTHAZAR
Je... Ben, je viens juste d'arriver.

LE CONTROLEUR (avec un rictus méprisant)
Ben alors c'est aux admissions qu'il faut aller, mon pote!

BALTHAZAR
Aux admissions?

LE CONTROLEUR
Ben oui, aux admissions du Niveau - 1, p'tite tête...

BALTHAZAR (attrapant le contrôleur par le revers de sa veste)
Aux admissions... J'en ai rien à foutre de vos admissions...

LE CONTROLEUR (se dégageant tout en ricanant)
Si tu veux te retrouver au - 2, moi, c'est pas mon problème... (Il s'éloigne)

- Gros plan de BALTHAZAR, figé.

BALTHAZAR (paniqué)
Au Niveau - 2 ? (Rappelant désespérément le contrôleur) C'est où les admissions?

LE CONTROLEUR (se retournant)
Va voir aux renseignements, j'ai pas que ça à foutre. Et puis dégage, connard, j' t'ai assez vu.

- Plongée: on voit BALTHAZAR s'éloigner tout en interrogeant au passage différentes personnes. A la fin, l'une d'elles lui désigne quelque chose du doigt.

- Un guichet surmonté d'un panneau à demi effacé sur lequel est inscrit: INFORMATIONS. A l'intérieur, deux mégères caquettent tout en tricotant. BALTHAZAR entre dans le champ.

BALTHAZAR
Pardon, Mesdames... (Pas de réaction) Les admissions, s'il vous plaît?

PREMIERE MEGERE (à l'autre)
Qu'est-ce qu'il veut, celui-là?

DEUXIEME MEGERE (à BALTHAZAR)
C'est fermé.

BALTHAZAR
Mais écoutez, ce n'est pas fermé puisque vous êtes là...

DEUXIEME MEGERE (La main sur la poignée du volet de fermeture)
C'est fermé, j' te dis. (Elle baisse le volet d'un coup sec)

37. DIJON L'hôpital général INT/JOUR

Plan rapproché d'une inscription au-dessus d'une porte: ADMISSIONS. La caméra s'abaisse et on voit DAVID (ami de Balthazar) parler avec une employée qui se trouve derrière le bureau. Au bout de quelques secondes il sort, marque un temps d'arrêt, se met à errer dans le hall de l'hôpital, puis s'approche de la porte d'entrée tout en allumant une cigarette. Une vieille dame chargée d'une énorme gerbe de fleurs entre.

LA VIEILLE DAME (apercevant DAVID)
La chambre n° 6, s'il vous plaît?

DAVID
Je ne sais pas Madame, il faut demander là-bas, à l'accueil.

La vieille dame sort du champ. Deux brancardiers passent à côté de DAVID en se dirigeant vers la sortie.

PREMIER BRANCARDIER
Oui, mais si Ramirez avait pas loupé le penalty, là, t'aurais moins rigolé... (Ils sortent)

DAVID fait quelques pas dans le hall et se dirige vers un distributeur de boissons situé à côté d'une cabine téléphonique. Pendant qu'il se sert et boit son café on entend:

L'HOMME QUI TELEPHONE (mal luné)
T'oublies pas mon gilet bleu... Comment ça, il est pas dans le placard ?... T'as regardé dans la commode ?... Bon... Oui... Du hachis Parmentier... Non... J'en ai encore des biscuits... Oui, c'est ça... (Il raccroche sèchement)

DAVID se met de nouveau à errer dans le hall maintenant désert. On entend quelqu'un entrer. Il tourne la tête et aperçoit GABRIELLE (la femme de Balthazar, revenue précipitamment de voyage), pâle et défaite. Ils se regardent, puis s'approchent l'un de l'autre. Elle fond en larmes dans ses bras.

DAVID
Ils n'ont pas fini d'opérer. Ça va aller... Tu vas voir...


38. NIVEAU - 1 INT/NUIT

BALTHAZAR, épuisé, déambule dans un lieu assimilable au forum des Halles de nuit, quand tous les commerces sont fermés. Son parcours est celui d'un homme perdu dans un labyrinthe et dure entre 30 et 60 secondes à l'image.

- Il pénètre dans une salle de théâtre à l'italienne. Elle est à l'abandon: fauteuils défoncés, toiles d'araignées etc... Le rideau est ouvert et le plateau est vide. Il descend une allée en direction de la scène et peu avant de l'atteindre il s'adosse à une loge d'orchestre. Il parcourt les lieux du regard en s'arrêtant sur le premier balcon. Long silence. Bruits de pas. BALTHAZAR tourne la tête vers le plateau. Personne. Les bruits de pas se rapprochent et LE DOUBLE apparaît, souriant, les mains dans les poches.

LE DOUBLE
Salut, Balt... Je savais que tu reviendrais... Tu m'as manqué, tu sais... Si, si, je t'assure... J'ai failli m'ennuyer... Et toi? Tu t'es bien amusé là-bas? C'était bien cette petite escapade au Niveau 3 ? Non? Décevant, hein? Il fallait s'y attendre... Ce n'était qu'un rêve, un mirage... Pauvre vieux, va... Là, je dois dire que tu m'as tout de même un peu déçu... Je croyais que tu étais devenu raisonnable... Ah... tu es incorrigible... On te fera toujours prendre des vessies pour des lanternes... Ici, tu vois, on a éteint les feux de la rampe et les personnages ont quitté le plateau... Finita la commedia! Débarbouillé, le maquillage, rangés, les décors, les costumes et les accessoires... Finis les bobards, les artifices et toutes ces conneries... Regarde... Un mur de béton, une échelle, une poubelle... La poussière, les toiles d'araignées... C'est ça, la réalité! Quand je pense à toutes ces pièces que tu as dû t'envoyer... Toutes ces foutaises qui se prennent pour des oeuvres d'art... Le beau, le pénétrant, le sublime... C'est bon pour les imbéciles... Ça n'a jamais guéri une angine...

BALTHAZAR l'observe d'un regard vide.

LE DOUBLE (descendant dans la salle)
Ça fait plaisir de se revoir... (La main sur l'épaule de BALTHAZAR) Toi et moi, on devrait jamais se quitter... (Entraînant BALTHAZAR) Allez, viens, je t'emmène...

- LE DOUBLE et BALTHAZAR descendent un escalier sordide.